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En temps normal déjà, l’OIP dénonce les conditions de détention dans nos prisons : surpopulation, manque de personnel, manque de soins en quantité et en qualité, manque de personnel soignant, manque d’hygiène, insuffisance d’aide psycho-sociale, insalubrité, manque de contacts avec l’extérieur, manque de travail, manque de formation, manque de loisirs. En temps normal déjà, nos prisons sont au bord de la rupture.

L’article 9 de la loi du 12 janvier 2005 prévoit que la privation de liberté se traduit exclusivement par la perte de la liberté de mouvement et les restrictions de liberté qui y sont liées de manière indissociable.

Or, les établissements pénitentiaires ne sont pas en mesure de faire face au virus de la même manière que pour les personnes non privées de liberté.

Dans des établissements pénitentiaires surpeuplés et parfois insalubres, les mesures de prévention et de prise en charge sont inapplicables.

A l’heure actuelle, la situation, pour les détenus, est la suivante :

  • Suppression des visites (y compris celles des enfants), lesquelles ne sont pas compensées par un système de vidéoconférence,
  • Suppression des activités,
  • Suppression de la plupart des interventions des services extérieurs,
  • Suppression du travail pour la plupart,
  • Limitation des préaux,
  • Limitation des soins de santé,
  • Limitation ou suppression de la cantine,
  • Absence d’informations données aux détenus quant à la situation sanitaire au sein de l’établissement dans lequel ils sont détenus et l’évolution de celle-ci,
  • Les prisons fonctionnent en vase clos : les commissions de surveillance n’y entrent plus non plus,
  • Pour faciliter le confinement, certaines cellules condamnées pour insalubrité (sans eau courante et équipée de seaux en guise de toilettes) sont à nouveau utilisées,

Les détenus sont laissés confinés dans une situation d’angoisse importante tant quant à leur situation personnelle que concernant leurs proches qu’ils ne voient plus.

Ils font également face à un sentiment d’injustice, ne comprenant pas toujours la logique des mesures de libération prises de manière inégalitaire.

Dans certains établissements, ces inquiétudes ont facilité la prescription d’anxiolytiques à forte dose. Parfois, des mouvements ont eu lieu, mettant en péril un peu plus encore la sécurité des plus faibles.

Le risque pour la santé des détenus est manifeste et s’accroit d’heure en heure. Les cas de détenus contaminés augmentent.

Les mesures prises par le pouvoir exécutif pour garantir les droits des détenus et éviter une crise sanitaire au sein des prisons sont à ce stade totalement insuffisantes et nous l’avons dénoncé.

A ce jour, selon le ministre de la Justice, ces mesures auraient abouti à la libération de quelques 800 détenus. Nos prisons restent surpeuplées.

L’OIP rappelle qu’un tiers de la population carcérale est composée de détenus présumés innocents, placés en détention préventive.

Plus que jamais, il appartient aux juges et aux chambres d’instruction de libérer, avec un accompagnement et une aide, tous les individus dont il n’est pas démontré qu’ils présentent un danger immédiat et réel pour autrui. Il ne sert à rien d’essayer d’éradiquer le virus à l’extérieur si on en fait une culture à l’intérieur.

Certes, certains magistrats ont pris la mesure de la situation et n’ont pas hésité à libérer des détenus.

Voici cependant certains extraits de décisions judiciaires démontrant que la mesure de la gravité de la situation n’a pas toujours été prise en considération ces derniers jours. Il est affirmé :

  • qu’il n’est pas établi que les conditions de détention portent atteinte, à ce stade, à la santé ou à l’intégrité physique des individus ni qu’elles constituent un traitement inhumain ou dégradant,
  • que le fait que les individus « soient privés de toute visite jusqu’au 3 avril prochain ne constitue pas, à ce stade, une atteinte au respect de la vie privée et familiale,
  • que les conditions de détention actuelles ne violent nullement les articles 2, 3, 5 et 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales,
  • que le tribunal doit avoir égard à la situation actuelle et concrète du détenu, non à des situations ou événements hypothétiques qui pourrait éventuellement survenir dans un avenir proche ou lointain,
  • qu’il appert que les mesures d’hygiène sont assurées par l’Etat qui affirme remplir ses obligations au regard de l’article 2 de la Convention,
  • que, certes, la souffrance due à une maladie peut en soi relever de l’article 3 de la Convention si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par des conditions de détention dont les autorités peuvent être tenues pour responsables. En l’espèce, le requérant ne se plaint ni d’être infecté par le coronavirus, ni de ne pas avoir reçu les traitements médicaux normalement indiqués,
  • que l’atteinte à la vie privée qui découle de l’absence de visites en prison doit être relativisée. Par essence, la mesure de détention préventive limite les contacts du détenu avec la société libre. En outre, eu égard aux mesures de confinement que connaît toute la population belge, en vertu de l’arrêté ministériel du 18 mars 2020, les contacts de tout citoyen libre avec son réseau social sont tout autant limités. Il n’y a donc pas violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Cette jurisprudence, loin des réalités de terrain, ne peut perdurer.

Il est illusoire de croire que des mesures d’hygiène, pourtant indispensables, peuvent être respectées à l’intérieur. Les machines à laver craquent et le linge ne peut être suffisamment changé. Les douches ne sont données que deux fois par semaine dans certaines prisons (comme à Saint-Gilles). Les agents, de moins en moins nombreux, se plaignent du manque de masque et de gel hydroalcoolique.

Les détenus sont très majoritairement une population à risque (hépatite C, tuberculose, long tabagisme, corps usés par des années de vie dans la rue, de toxicomanie, diabète, carences diverses,…)

D’autre part, tant le Conseil de l’Europe que l’ONU enjoignent les Etats à diminuer drastiquement leur population carcérale.

L’OIP demande une vigilance accrue des magistrats quant au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Nous devons refuser que la situation actuelle fragilise notre démocratie. L’Etat de droit ne pourra traverser la crise qu’en respectant la dignité des plus faibles.