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Après des années de vaches maigres et de politiques pro-carcérales, l’arrivée d’un nouveau gouvernement laissait espérer de jours meilleurs. Il n’en est rien. C’est un nouveau pas vers le modèle répressif qui a été choisi.

L’accord Vivaldi avait déjà annoncé la couleur, le vice premier-ministre et ministre de la justice n’a fait que confirmer le 4 novembre dernier, devant la Chambre des Représentants, la nouvelle orientation politique : vers le renforcement du modèle actuel où l’efficacité du tout-répressif ne ferait pas de doute.

Conditions de détention : politique de l’ignorance

Dès l’introduction de son exposé, l’étonnement est au rendez-vous. « {…} près de 23 000 collaborateurs, dont la moitié, répartis dans 225 palais de justice, donnent le meilleur d’eux-mêmes chaque jour dans les cours et tribunaux, et l’autre moitié, assure avec passion des conditions de détention dignes dans nos 34 prisons et 2 maisons de transition ». Le ministre et ses collaborateur.rices semblent de fait ignorer les multiples condamnations de la Belgique quant à ses conditions indignes de détention. Dernière en date, le 4 juin dernier par la Cour européenne des droits de l’Homme en raison des mauvaises conditions de détention durant les grèves des agents pénitentiaires qui ont eu lieu entre les mois d’avril et juin 2016[1].

Exécution des peines : toujours plus de répression

Concernant l’exécution des peines, c’est donc vers un renforcement du modèle punitif que la coalition Vivaldi a choisi de s’orienter. Si l’OIP salue et s’enthousiasme du souhait du gouvernement d’encourager le règlement alternatif des litiges, et notamment la médiation, force est de constater qu’à ce stade la note d’orientation n’offre pas plus de précisions. En revanche, concernant les modalités traditionnelles d’exécution des peines, de nombreux détails sont apportés. « Davantage de peines seront exécutées. Les récidives seront traitées avec sévérité » nous annonce-t-on. C’est même le « fil conducteur » que se donne le ministre de la justice. Rappelons que les prisons, en plus d’être largement sur-occupées, n’ont toujours pas prouvé leur efficacité -et bien au contraire-, sur une désinflation du taux de récidive. Rappelons également que les peines alternatives n’ont d’alternatives que le mot et se sont en réalité développées en marge des prisons, ce que le monde académique a mis en lumière sous le principe d’extension du filet pénal. Or, ce filet pénal risque à nouveau de s’étendre puisque la note d’orientation annonce un rallongement de la liste des faits pénalement répréhensibles en introduisant les notions d’écocide et de féminicide.

Le modèle répressif engagé par le gouvernement semble particulièrement concerné par la «criminalité quotidienne ». Mais, plutôt que d’aller en chercher l’origine et les facteurs, notamment à la lecture de données socio-économiques, le gouvernement fait le choix de systématiser la réaction pénale, et surtout de la rendre plus rapide (« dans les deux mois »), au nom de ce qu’il considère comme son principe : « justice delayed is justice denied ». Une prétendue efficacité plutôt que la pertinence viendra guider l’action judiciaire, en somme. Pourtant, le modèle des comparutions immédiates est très largement critiqué : justice expéditive, sévérité accrue, non-préparation de la défense … autant de constats qui poussent à la perplexité. La note d’orientation insiste à plusieurs reprises sur la volonté du gouvernement de condamner encore plus fermement la récidive, pourtant déjà prise en compte dans le Code Pénal en son chapitre 5. Encore une fois, plutôt que d’engager une réflexion sur les causes de la récidive, on tombe dans le jeu de l’effet d’annonce. Cette absence de distance au profit de déclarations allant caresser certains discours aux accents populistes se manifeste particulièrement dans la justification de certains choix politiques par des faits divers passés – aussi traumatisants soient-ils. Une note d’orientation politique ne doit pas être guidée par des évènements mais par un système de valeurs duquel se dégage des objectifs.

Maisons de transition : confirmation d’un modèle pas évalué

Dans un souci de ne pas envoyer tout le monde en prison, le projet politique annonce vouloir faire « appel à des capacités externes dotées d’un niveau de sécurité approprié ». Ici, sont notamment évoquées les maisons de transition qui n’ont, à ce stade, toujours pas fait, à notre connaissance, l’objet d’évaluation, ni sur leur pertinence en tant qu’acteur de la chaîne pénale ni sur l’intérêt d’avoir recours à un partenariat public-privé pour gérer ce type d’établissement. Nous ne pouvons que nous inquiéter du souhait du gouvernement de reconduire et développer un dispositif qui n’a fait l’objet d’aucune analyse, qui serait confronté à des difficultés importantes sur le terrain et qui tend vers une privatisation de l’exécution pénale – modèle ayant très largement prouvé ses limites chez nos voisins francophone ou au Royaume-Unis par exemple.

Réinsertion et travail en détention : aucune garantie

Concernant la détention, le gouvernement entend se pencher sur la « réintégration dans la société » des détenus, notamment via l’élaboration d’un plan individuel de détention. Or, soulignons que cet élément est prévu depuis la loi de 2005. Rien de nouveau dans ce sens donc. Ces mécanismes de réintégration ne concerneront en revanche pas les détenus d’origine non-belge puisque ces derniers seront amenés à « purger leur peine dans leur pays d’origine ». Exclure les grands exclus pour ne surtout pas repenser notre modèle social.

Toujours dans le volet détention, le ministre annonce un renforcement des services psychosociaux et le « développement de projets de détention à petite échelle », sans en préciser davantage à ce stade.  Au sujet du travail en prison, mis à part souligner que l’offre de travail pénitentiaire est essentielle, rien n’est mentionné quant aux gratifications incroyablement basses et loin des minimas en vigueur dans la société extérieure – dont sont victimes les détenus travailleurs. L’expansion du business carcéral, notamment alimenté par le mouvement de privatisation des prisons, n’est pas non plus remise en question dans la note d’orientation politique. Or, sans un encadrement institutionnel fort du travail en prison, l’exploitation dont sont victimes les détenus soumis à des pratiques d’entreprises en constante quête d’économies d’échelle ne fera que s’amplifier.

Informatisation et visioconférence : l’humain passe à la trappe

Si l’OIP peut saluer les efforts portés vers une informatisation de la justice, ce qui permettra notamment aux détenus d’accéder plus facilement et rapidement à leurs dossiers par exemple, une certaine inquiétude peut se manifester quant à l’auto-persuasion du gouvernement sur les effets miracles du numérique. Le numérique est un moyen et non une finalité et encore moins d’un projet politique. Il doit être facilitateur mais ne doit pas remplacer le maintien de certains fondamentaux dans un Etat de droit. Inquiétons-nous du bilan positif des expériences « visio » du confinement que le gouvernement semble tirer, se targuant qu’entre « mars et septembre 2020, plus de 55 000 visites numériques ont déjà eu lieu dans les 35 prisons ». L’emploi du terme « visite » est ici totalement inapproprié. N’oublions pas que les détenus ont été longtemps privés de leurs droits de visite durant le premier confinement, et que cette privation a ensuite totalement perduré pour les visites hors surveillance y compris en phase de déconfinement. Les solutions numériques ont constitué une solution de secours dans l’extrême urgence mais ne doivent absolument pas venir remplacer les visites physiques essentielles à la santé mentale de tout un chacun. Inquiétons-nous encore plus du souhait du gouvernement d’étendre les audiences vidéo. Les remontées de terrain sont très alarmantes: limitation des échanges, absence de prise en compte du non-verbal – pourtant essentiel – dans les procès, distanciation entre l’avocat.e et son.a client.e … Une justice humaine ne peut se rendre derrière un écran.

Internés : moins de soins, plus de détention

L’OIP s’indigne du projet de mise en place d’un système de responsabilité pénale partielle pour « les auteurs de crimes atteints d’un affaiblissement de leurs facultés mentales de nature à réduire leur compréhension ou leur volonté, qui ne serait pas tel que l’absence totale de responsabilité puisse être constaté ». Alors que, d’un autre côté, le gouvernement annonce vouloir « fermer les annexes psychiatriques », réformer le système de responsabilité pénale semble aller dans le sens d’une augmentation des personnes présentant des troubles psychiques et / ou mentaux en détention. Or, depuis longtemps, de nombreux mouvements auxquels l’OIP s’associe, dénoncent la raréfaction des lits en psychiatrie et, dans le même temps, la multiplication des lits en prison. Ce projet ne va faire qu’aggraver la situation de détresse psychique dans laquelle se trouvent et se trouveront les détenus, mais laisse aussi porter à la société le choix de réponses répressives envers ceux pour lesquels un parcours de soin serait de loin plus adapté. La priorité que veut se donner le gouvernement de construire rapidement des centres de psychiatrie légale abonde dans ce sens. Plutôt que d’entreprendre de négocier des accords de placements dans les hôpitaux psychiatriques, c’est, une nouvelle fois une option ultra sécuritaire qui est privilégiée au détriment des logiques médicales. Non, les personnes souffrant de troubles mentaux et psychologiques n’ont pas leur place en prison. Non, la prison ne soigne pas, elle ne fait qu’aggraver l’entièreté des situations individuelles : de la désintégration sociale, de l’appauvrissement économique jusqu’au creusement des inégalités et souffrances médico-psychologiques. Et le souhait du gouvernement d’amener en prison une offre de soin équivalente au monde extérieur ne viendra pas pour autant substituer la prison aux institutions psychiatriques.

L’heure n’est donc pas au bilan, ni à la réflexion. L’heure est à la poursuite et au durcissement de méthodes qui n’ont jusqu’ici pas démontré leur efficacité et encore moins permis un apaisement et une prise en compte de la voix des victimes et des auteurs.

Le déni scientifique est particulièrement inquiétant. Dans aucune des réformes annoncées le gouvernement ne semble prendre en compte les observations et recommandations du monde académique : ni sur l’inutilité d’étendre le parc carcéral, ni sur la nécessité de lutter contre l’inflation carcérale (par exemple en limitant les possibilités de placements en détention préventive), ni sur l’absence totale d’objectivation et de mesure de la récidive, et encore moins sur l’importance de réformer en profondeur le système pénal (ce que les experts sollicités dans le cadre de la réforme du Code Pénal avaient particulièrement souligné) voire de l’abolir au profit d’un autre projet de société qui soit réellement en quête de sens.  

Espérons que l’engagement prévu de criminologues pour soutenir les magistrats viendra bousculer le mammouth au profit d’un questionnement profond et intelligent sur le sens de la peine. Il serait temps.

 

 

[1] Arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme prononcé dans une affaire Detry et autres c. Belgique du 4 juin 2020.