oip@oipbelgique.be

Ce dimanche 7 décembre, les agents pénitentiaires de la prison d’Ittre ont entamé un mouvement de grève. Les agents étaient présents dans l’établissement mais refusaient d’assurer un régime « normal » de détention aux détenus, se limitant à la distribution des repas et des médicaments.

Mercredi 10 décembre, les agents pénitentiaires ont décidé de poursuivre la grève et ont quitté l’établissement. La direction a dû faire appel aux services de police et à la protection civile qui assurent à l’heure actuelle un service encore plus minimal aux plus de 400 détenus de la prison d’Ittre, n’assurant que la distribution d’un repas (froid) par jour.

Vu l’appel lancé par la Confédération des Syndicats Chrétiens (CSC) au personnel des établissements pénitentiaires afin qu’ils entament une « grève au finish »[1], cette grève risque de se prolonger, et d’autres vont se déclarer.

Ainsi, la grève s’est déjà propagée.

Les agents pénitentiaires des prisons de Marche, Lantin, de Mons, d’Arlon et d’Andenne ont aussi décidé de ne plus que garantir un service minimum et de supprimer toutes les activités, et ce jusqu’au 16 décembre, date à laquelle ils partiront très probablement en grève.

 

Si les conditions de détention en Belgique sont déjà déplorables[2], la grève aggrave encore ces conditions : elle signifie que les détenus sont « pris au piège » dans leur cellule.

Les personnes détenues sont confinées seule ou à deux dans une cellule dont la superficie est d’environ 9m² 24 heures sur 24, et sont privées de leurs droits les plus élémentaires :

  • Le droit à la vie privée et familiale : les visites de leur famille sont empêchées.
  • Les droits de la défense : les avocats ne peuvent se rendre à la prison pour préparer la défense et les détenus ne peuvent plus contacter leur avocat par téléphone. En outre, les détenus ne sont pas transférés au palais pour assister à leurs audiences.
  • Le droit d’accès à un tribunal : l’audience du Tribunal de l’application des peines de ce mardi 9 décembre n’a pas pu avoir lieu et rien ne permet d’assurer que celle du mardi 16 pourra être maintenue. Les conséquences sont lourdes pour les détenus qui sollicitent leur libération sous surveillance électronique ou sous conditions : leur dossier sera reporté de plusieurs mois.
  • Le droit à une alimentation saine et aux soins de santé : les détenus ne reçoivent qu’un repas froid par jour (ils ne peuvent plus passer des commandes à la cantine). Les transferts vers les hôpitaux sont suspendus et les centres médicaux des prisons sont inactifs.
  • Le droit à l’hygiène corporelle : ils ne peuvent plus prendre de douches.
  • Le droit à exercer sa religion : plus d’accès au culte.
  • Les activités et les sorties au préau sont supprimées.
  • Les psychologues et les assistants sociaux n’ont plus accès à la prison non plus.

 

Les détenus se retrouvent donc tout à fait coupés du monde extérieur, livrés à eux-mêmes dans un espace exigu, dans une situation de stress, d’impuissance et de désespoir contre laquelle ils n’ont aucun recours, si ce n’est la violence contre eux-mêmes (tentatives de suicide) ou contre les biens matériels de leur cellule (incendies, destruction des carreaux des cellules) dans l’espoir qu’on leur ouvre la porte de leur cellule.

En outre, le service de « gardiennage » est assuré par des policiers, non formés à la fonction d’agent pénitentiaire, ce qui peut, et a déjà[3], mené à des dérapages.

 

Le droit de grève est un droit fondamental. L’Observatoire International des Prisons, section belge (O.I.P.), considère la plupart des revendications des agents pénitentiaires tout à fait légitimes. Les agents ne sont déjà pas assez nombreux pour assurer des conditions de détention dignes au sein des établissements pénitentiaires de Belgique, réduire leur nombre afin de réaliser des économies aboutirait à rendre la situation invivable tant pour eux que pour les personnes détenues.

Toutefois, ce droit de grève n’est pas absolu et ne peut certainement pas s’exercer d’une façon qui aboutit à violer de façon flagrante les droits fondamentaux de plus de 400 personnes, c’est-à-dire sans qu’un service garanti ne soit organisé. Depuis de nombreuses années, le Comité de Prévention Contre la Torture (CPT) recommande à la Belgique d’instaurer un tel service garanti au sein des établissements pénitentiaires.

Le Ministre de la Justice, Koen GEENS, dans son exposé d’orientation politique du 13 novembre 2014[4], a déclaré : «  Suite à la mise en demeure par le Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains et suite au protocole d’accord du Comité de Secteur III-Justice n°351 du 19 avril 2010, nous introduirons un service garanti dans les prisons, le corps de sécurité et le centre national de surveillance électronique afin de sauvegarder les droits de base des détenus. Les modalités du service garanti seront déterminées en concertation avec les partenaires sociaux. »

Cette concertation ne peut plus attendre et doit commencer dès à présent.

Dans l’attente de la création de ce service garanti, le régime habituel de détention doit être rétabli au plus vite.

L’O.I.P. ne peut accepter que cette grève se poursuive et que d’autres soient entamées et menées au détriment de la dignité humaine.

Ce communiqué de presse vise à dénoncer les conséquences dramatiques de l’absence d’un service garanti au sein des prisons, et à appeler l’opinion publique à ne pas rester indifférente face à cette situation honteuse pour un pays qui se dit démocratique et respectueux des droits de l’Homme.

 

Pour l’OIP:

-Olivia NEDERLANDT, membre, 0471/71.31.35

-Delphine PACI, Présidente, 0478/43.68.84

[1] RTBF, « Prisons : la CSC appelle à une grève au finish à partir du 16 décembre », 10 décembre 2014, http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_prisons-la-csc-appelle-a-une-greve-au-finish-a-partir-du-16-decembre?id=8550895

[2] La Belgique vient de se faire condamner par la Cour Européenne des droits de l’Hommequi considère que la surpopulation carcérale est un problème structurel en Belgique qui soumet les personnes détenues à des traitements inhumains et dégradants : Cour eur. d. h, Vasilescu c. Belgique, 25 novembre 2014, n°64682/12.

[3] Observatoire International des Prisons, Notice 2013 de l’état du système carcéral belge, Chapitre XII. Les Grèves, pp. 145 – 146.

[4] Exposé d’orientation politique – justice, Doc. Parl., Ch., 13 novembre 2014, p. 25.