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Dans un arrêt du 5 septembre 20171, la Cour européenne des droits de l’Homme a dû traiter d’une affaire concernant le décès de Michael Tekin, une personne internée soit une personne ayant commis un fait qualifié infraction mais déclarée irresponsable de ses actes, en date du 8 août 2009 à la prison de Jamioulx.

Michael Tekin avait déjà été interné à l’annexe psychiatrique de la prison de Jamioulx en 2007, 2008 et 2009, et avait à chaque fois bénéficié d’une libération à l’essai. En raison du non-respect des conditions de sa libération, le procureur du Roi a ordonné sa réintégration à l’aile psychiatrique de la prison de Jamioulx, où il est arrivé le 7 août 2009 au soir. Le lendemain matin, la directrice adjointe de la prison a décidé de prendre à son égard des mesures de sécurité particulières. Les agents R., L. et D., chargés d’informer Michael Tekin de cette décision, expliquèrent qu’après lui avoir communiqué la décision de la directrice, furent provoqués par celui-ci au point de se sentir menacés. Les agents décidèrent alors de placer Michael Tekin au cachot. Vu qu’il refusait de s’y rendre, pour l’y emmener, l’un des agents fit une clé de bras en lui saisissant le cou en vue de l’amener au sol. D’autres agents arrivèrent en renfort et placèrent des menottes aux poignets et des entraves aux chevilles de Michael Tekin. Ce dernier fut ensuite transporté vers le cachot, maintenu par les épaules, son corps traînant sur le sol et sa tête pendant, le visage vers le bas. Une fois au cachot, les agents s’aperçurent que le visage de Michael Tekin était cyanosé. Dès son arrivée sur place, l’équipe médicale constata le décès de Michael Tekin. Le tribunal correctionnel de Charleroi acquitta les trois gardiens, qui étaient poursuivis du chef de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Les parents de Michael Tekin​​ ont porté cette affaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme.

Dans son arrêt, la Cour européenne relève l’insuffisance et l’imprécision du cadre juridique et administratif qui prévoient le recours aux mesures de coercition. Elle relaye les préoccupations des observateurs internationaux dénonçant les lacunes des formations des agents pénitentiaires et pointe le fait que l’un des agents concerné n’avait aucune formation relative aux personnes souffrant d’un trouble psychiatrique. Elle ajoute que la place de Michael Tekin, au vu de son état de santé mentale, connu des autorités, et ayant conduit à son internement, n’était pas dans une cellule d’une aile ordinaire de la prison.​​

La Cour européenne souligne que Michael Tekin était particulièrement vulnérable en raison de ses troubles mentaux et de sa privation de liberté et que le tribunal correctionnel ayant acquitté les agents pénitentiaires n’a aucunement pris en considération cet aspect primordial de l’affaire dans l’analyse de la nécessité et de la proportionnalité de la force utilisée par ceux-ci. La Cour​​ constate que​​ Michael Tekin semble avoir été traité tant par les agents pénitentiaires que par la directrice adjointe de la prison et par le tribunal correctionnel comme un détenu ordinaire disposant de toutes ses facultés mentales ». Enfin, la Cour fait le constat de l’absence de réflexion sur la manière dont les mesures de sécurité allaient être communiquées à Michael Tekin au vu de sa problématique psychiatrique, et du fait qu’aucune autre mesure que l’immobilisation et le placement au cachot ne semble avoir été envisagée par les agents, qui n’ont pas privilégié le dialogue.​​  La Cour ne comprend pas non plus​​ pourquoi les agents ne sont pas simplement sortis de la cellule afin de ne pas être menacés​​ d’une quelconque agression. La Cour s’interroge sur le choix de la manœuvre utilisée, dès lors​​ que le risque létal d’une clé d’étranglement a été enseigné dans la formation suivie par l’agent ayant réalisé cette clé. La Cour note aussi que lorsque Michael Tekin était immobilisé au sol, entravé aux mains et aux pieds et donc ne présentant aucun danger pour autrui, aucun des agents, pourtant nombreux, n’a cherché à s’assurer de son état de santé. La Cour conclut qu’elle n’est pas convaincue que le recours à la force était ​​ absolument nécessaire en l’espèce, en soulignant que l’absence de règles claires et de formation adéquate peut expliquer les actes de l’agent.​​

Par​​ conséquent, elle déclare qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention​​ et condamne l’Etat belge à verser un montant de 20.000 euro aux parents de Michael Tekin à titre de dommage moral.

Ce nouvel arrêt est l’occasion de rappeler que le fait que des personnes souffrant de troubles psychiatriques soient placées dans les annexes psychiatriques des prisons – voire, comme ce fût le cas de Michael Tekin – dans les ailes ordinaires de la prison, a été maintes fois condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme, et par d’autres acteurs nationaux (dont l’OIP2), européens et internationaux, au point que la Cour européenne a rendu un « arrêt pilote »3​​ en date du 6 septembre 20164. Cet arrêt pilote identifie cette problématique comme un « problème structurel » au sein de l’ordre juridique belge, et oblige l’Etat belge à prendre des mesures pour y mettre fin endéans un délai de deux ans, soit avant le 6 décembre 2018.​​ 

1Cour eur. dr. h.,​​ Tekin et Arslan c. Belgique, 5 septembre 2017, req. n°37795/13.
2Observatoire International des Prisons,​​ Notice 2016 – Pour le droit à la dignité des personnes détenues, pp. 195 – 213.
3Cour européenne des droits de l’homme, Unité de la Presse, « Fiche thématique – Les arrêts pilotes », juin 2017,​​ http://www.echr.coe.int/Documents/FS_Pilot_judgments_FRA.pdf.
4Cour eur. dr. h.,​​ W.D. c. Belgique, 6 septembre 2016, req. n°73548/13,​​ J.L.M.B., 2016, p. 1703 ; F.​​ Vansiliette, « Les internés : la fin d’une politique des oubliettes ? »,​​ Justice en ligne, 25 octobre 2016,​​ http://www.justice-en-ligne.be/article923.html.​​