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Après des années passées à observer et dénoncer les conditions de détention dans les prisons belges,

Après des décennies passées à dénoncer l’échec des multiples sens et objectifs attribués à la peine d’emprisonnement,

Après de nombreuses réflexions sur les alternatives à l’emprisonnement : pour qui ? pour quoi ? Etendre le filet pénal ? Créer des maisons de transition pour que des détenus en fin de peine puissent quelque peu panser les plaies béantes créées par la prison ?

On patauge….N’avons-nous pas passé notre temps à légitimer le système pénal/carcéral en dénonçant ses « dysfonctionnements » ?

Alors, seulement, nous interrogeons ailleurs, nous questionnons autrement : à quoi sert donc la sanction ? [i]

Essentiellement à punir, à répondre en notre nom à tous, au mal par le mal….

La punition procure une certaine satisfaction collective, notamment parce qu’elle est infligée à celui qui n’a pas respecté le contrat, à l’«asocial ».

Selon A-M MARCHETTI, « Demander que celui qui a fait le mal encoure une peine qui fasse vraiment mal autorise le plaisir, intense pour certains, de faire mal à leur tour en toute légitimité et en toute impunité. La jouissance empêchée de la transgression devient ainsi jouissance autorisée de la punition. »[ii]

La punition procure cette satisfaction même si elle est inutile, voire nuisible (qui pense encore qu’on met un individu dangereux en cage pour qu’il devienne inoffensif ?).

Et par ce constat d’inutilité globale s’ouvrent de nombreuses portes ; des portes difficiles à ouvrir lorsqu’on se retrouve coincé à l’intérieur d’un système pénal qui nous assène de manière évidente qu’il faut bien juger !

Or, juger c’est infliger une violence tant à l’auteur d’un acte qu’à la victime puisque le système pénal dépossède les gens de leur conflit et crée une mise en scène à partir d’un acte isolé de son contexte.

Pourrait-on se demander si nous avons réellement besoin de la violence organisée par l’Etat ? Pourquoi notre société traite-t-elle les problèmes de manière punitive et violente ?

Comment les Etats parviennent-ils si bien à légitimer leur violence ?

Cela ne pose-t-il pas question de garder la prison comme instrument de défense des valeurs démocratiques ? Au nom de la liberté et du respect des droits de l’homme on supprime la liberté et le respect du moindre droit des citoyens incarcérés… C’est interpellant de se rendre compte que lorsqu’un Etat démocratique détient un citoyen il lui fait subir tout ce qu’il considère comme opposé à ses valeurs.

La sanction ne fait peur qu’à ceux qu’on intimide facilement, ceux qui, sur des rails, ne risquent pas de s’écarter du droit chemin…

Ceux qu’on juge sont essentiellement les pauvres, ceux qui ont été élevés dans la violence et le désespoir.

Par ailleurs, la criminalité réelle est tellement plus importante que la criminalité réprimée qu’on se demande à quels naïfs s’adresse le système pénal.

Mais que faire alors des « dangereux », de notre besoin de sécurité ?

Notre système pénal basé sur la punition ne met personne en sécurité ; la prison génère agressivité et rancune…Répondre au mal par le mal entraîne le fait que la vengeance appelle la vengeance.

Le système pénal n’éradiquera pas la délinquance et pourtant ce système reste focalisé sur la suppression du crime et du délinquant.

Ne faudrait-il pas réussir à déconstruire nos perceptions pour s’interroger sur le système pénal et tenter de comprendre pourquoi face à un événement il existe une volonté d’identifier, de singulariser, de juger plutôt que de comprendre, de généraliser, de politiser ? La construction du système pénal se fonde d’abord sur le refus de penser en termes de totalités, en isolant les individus et en désinscrivant les actes jugés de tout sens réel.[iii]

La lutte contre la délinquance commence par une lutte contre la pauvreté puisque le crime a des origines culturelles, économiques, urbanistiques et sociales.

Concrètement, les abolitionnistes proposent de remplacer notre système punitif par une autre manière de penser la résolution des conflits : une justice positive, reconstructive, transformative et conciliatrice. La victime (et non plus l’Etat) serait au centre du processus mais l’offenseur est également digne d’intérêt et doit être compris.

Les pistes abolitionnistes permettent l’émergence d’une responsabilité sociale ignorée dans le système actuel.

Les pistes abolitionnistes sont multiples car imaginent des réponses créatives à la complexité de chaque être humain et de chaque situation : décriminalisation, dépénalisation, médiations ad hoc, intervention du droit civil.

« Il faut se mettre à la place de chacun. Et si tout comprendre n’est pas forcément tout pardonner, c’est peut-être ne plus vouloir punir. »[iv]


[i] Lire C. BAKER, « Pourquoi faudrait-il punir. Sur l’abolition du système pénal. », Ed. Tahin party, 2004, Paris.

[ii] A-M MARCHETTI, « Perpétuités », Plon, Terre Humaine, 2001

[iii] G.de LAGASNERIE, « Juger – L’Etat pénal face à la sociologie », Ed. Fayard, 2016)

[iv] C. BEAL et L. DELIA : Entretien avec Margaux COQUET sur l’abolition du système pénal, CAIRN, 2018/1 N°93,p.118.