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Communiqué de Presse
03/12/25

Un milliard pour vider les prisons

La ministre de la Justice Annelies Verlinden annonçait ce lundi 24 novembre qu’un milliard d’euros de crédits supplémentaires seraient alloués à la crise du système carcéral, sur l’ensemble de la législature. L’OIP réaffirme l’urgence de sortir de la surenchère sécuritaire et punitive, et rappelle qu’année après année, crise après crise, les investissements dans le système carcéral n’améliorent ni les conditions de vie entre les murs, ni la sécurité en dehors.
Il faut au contraire investir pour vider les prisons.

Investir dans le système carcéral belge : un échec humain et économique

En plus d’être inhumaine et inefficace, la prison coûte cher. En 2023, la détention coûtait 170€ à l’Etat par jour et par détenu·e. Elle avale chaque année un tiers du budget de la Justice. L’annonce de 600 millions d’euros alloués à la création de 2000 nouvelles places d’ici 2030 a de quoi surprendre, quand on sait que l’augmentation de la capacité pénitentiaire a une incidence historiquement négative sur le taux de suroccupation, qui se confirme aujourd’hui : 125% à l’heure actuelle contre 114,6% en 2022, malgré l’aménagement de 1400 places supplémentaires entretemps.

La Cour des comptes souligne par ailleurs un contrôle insuffisant des partenariats public-privés (PPP) qui encadrent la construction des infrastructures récentes et à venir, et s’inquiète des surcoûts associés à leur maintenance à long terme.

L’aménagement de places supplémentaires est inopérant d’un point de vue économique, et indéfendable dans un contexte de crise budgétaire.

Mettre un terme à la surutilisation de la prison

Les études statistiques démontrent que le taux d’incarcération n’est pas déterminé par la criminalité (qui baisse en Belgique depuis les années 1980), mais par les politiques pénales d’une part, et la situation socio-économique d’autre part. La surpopulation carcérale est la conséquence d’une surutilisation de la prison : on enferme de plus en plus de personnes (majoritairement pauvres, malades et sans-papiers), pour des périodes de plus en plus longues, des délits de moins en moins graves, en recourant toujours plus à la détention préventive. Rien que ces deux dernières années, la population carcérale a augmenté de 2000 personnes.

A ce rythme, la population carcérale aura presque triplé en 50 ans, passant de 5.700 détenu·es en 1980 à 13.500 en 2025, dont 32,6% en détention préventive. Le tout pour une occupation à 125,3% des places disponibles. Belgium | World Prison Brief 

Le trafic de stupéfiants fait l’objet d’une surenchère de mesures répressives, au mépris de la littérature scientifique disponible sur le sujet. Les violences, les assuétudes et la précarisation générées par le trafic de stupéfiants ne trouvent aucune solution dans le tout répressif. Les recommandations invitent au contraire – et de manière urgente – à dépénaliser les stupéfiants et déployer une politique de santé publique dédiée à la prévention, à l’accompagnement et à la protection des usager·es vulnérables.

La décroissance sécuritaire n’est pas une utopie : c’est une urgence. Seul ce mouvement permettra d’assécher les trafics, de protéger les personnes et de vider des prisons notoirement sur-occupées.

Investir en amont de la prison: un milliard pour des politiques sociales et une politique de désincarcération

La surutilisation de la prison dégrade les conditions de détention et aggrave la rupture entre détenu·es et société : moins de visites, moins de possibilité de travail, d’accès aux services externes, etc. Cela entraîne un coût financier de plus en plus élevé pour la société et pose la question de l’affectation du milliard alloué à la crise du système carcéral en Belgique. L’urgence est à la désinflation carcérale. Pour cela, des pistes et des exemples existent, conformes aux recommandations du Conseil de l’Europe et appuyés par une littérature abondante :

  • Financer des politiques de réduction de la pauvreté, d’accès au logement, de lutte contre le sans-abrisme : autant de facteurs qui font basculer les individus dans l’illégalité, et auxquels la prison les renvoie quand ils sortent.
  • Financer l’éducation, l’insertion professionnelle, la lutte contre les discriminations.
  • Financer des politiques de santé publique, reconnues pour avoir un effet positif sur la santé et la sécurité.
  • Dépénaliser une série de situations problèmes, à commencer par le trafic de stupéfiants et faire passer l’internement au civil.
  • Encourager et financer le recours à la justice civile et réparatrice, qui responsabilise les auteurs et répond aux besoins des victimes.
  • Véritablement restreindre les peines de prison au dernier recours, et en limiter la durée, conformément à la réforme du Code Pénal.
  • Procéder aux libérations anticipées, comme ce fut le cas dans d’autres pays, et plus récemment pendant la crise Covid, où on a libéré massivement sans incidence particulière sur la sécurité.
  • L’exemple finlandais : avec des politiques ambitieuses de désincarcération depuis les années ’50, la Finlande a réduit son nombre de détenu·es de deux tiers, passant de 150 personnes détenues pour 100.000 habitant·es dans les années 60, à 50 en 2016.
  • L’exemple irlandais : en 2010, dans un contexte de crise économique et alors que les prisons du pays étaient surpeuplées, l’Irlande a réduit sa population carcérale de 20 points en suivant les recommandations formulées par les associations de terrain et les travaux de recherche.