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Carte blanche – Soins de santé en prison : une urgence éthique et politique
Bruxelles, le 12 mai 2025
Soins de santé en prison : une urgence éthique et politique
Nous saluons la démarche des médecins pénitentiaires qui ont récemment osé témoigner publiquement des graves dysfonctionnements du système de soins en prison. Leur parole, rare et précieuse, met en lumière une situation depuis longtemps connue, documentée et dénoncée, mais qui reste largement inchangée.
Ce qu’ils décrivent – pénurie de moyens, glissements éthiques, pressions institutionnelles – est le quotidien d’un système à bout de souffle. Cette parole ne peut rester sans effet. Elle doit agir comme un électrochoc.
Un système à bout de souffle
Nous, associations actives dans les prisons en Belgique (qu’il s’agisse d’aide psychosociale, de promotion de la santé, de continuité des soins, d’activités de cours et de formations ou encore de réinsertion socioprofessionnelle) ainsi que des organisations engagées dans la défense des droits humains en dehors des murs partageons pleinement les constats des soignants. Nous les observons chaque jour dans nos missions. Nous rencontrons des femmes et des hommes pendant leur détention, lors de leurs congés pénitentiaires, ou encore à leur sortie : tous les jours, nous sommes confronté∙es aux atteintes portées à leurs droits, à leur santé, à leur
dignité.
Ce que nous affirmons aujourd’hui, c’est que l’organisation du système carcéral belge empêche de soigner. Et cela a des conséquences graves : sur les personnes détenues, sur les soignant∙es, mais aussi sur la société tout entière.
Nous rappelons avec force que le droit à la santé s’applique à toutes et tous, y compris derrière les murs des prisons. Ce principe est inscrit dans les règles « Mandela » des Nations Unies et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La prison est parfois le seul moment où des personnes en grande précarité entrent en contact avec des professionnels de santé : elle représente une opportunité de réaffiliation aux soins, avec un bénéfice à la fois
individuel et collectif.
Mais pour cela, encore faut-il que les soins soient accessibles, équivalents à ceux proposés à l’extérieur, et garantis par une réelle indépendance médicale. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
La continuité des soins, notamment entre l’arrivée en détention et la sortie de prison, n’est pas assurée malgré les dispositions prévues par la loi de principes du 12 janvier 2005. Faute de moyens, d’arrêté d’application, ou de volonté politique, ces droits restent lettre morte. Ce déni de soins a des conséquences dramatiques.
Le transfert vers la Santé publique : un impératif
Depuis des années, nous appelons au transfert des compétences en matière de soins en prison du SPF Justice vers le SPF Santé publique. Ce transfert, recommandé notamment par l’étude du KCE de 2017 ou encore par le Comité européen pour la prévention de la torture, est indispensable. Il permettra d’amorcer un changement de culture : sortir d’une logique de contrôle pour entrer dans une logique de soin.
Mais ce changement ne suffira pas. Il doit s’accompagner :
de moyens humains et financiers suffisants ;
de formations spécifiques aux réalités carcérales ;
d’une reconnaissance du rôle des services externes ;
d’un renforcement des espaces de réflexion et des autorités de contrôle, indispensables pour garantir l’éthique des soins.
Nous savons combien les pressions exercées dans les prisons peuvent détourner les pratiques de soin de leur finalité. Nous avons trop souvent vu des soignant∙es partir, écœuré∙es par la violence du système carcéral. D’autres rester, abîmé∙es. Ce système broie les professionnel∙les autant que les patient∙es. Il est temps d’y mettre fin.
Nous, associations, fédérations et organisations, avons un rôle essentiel à jouer. Certaines d’entre nous sont présentes au quotidien dans les prisons, mandatées par les pouvoirs publics pour assurer des missions d’aide, d’accompagnement ou de promotion de la santé, dans une logique de collaboration avec les services internes et selon une approche multidisciplinaire.
D’autres agissent depuis la société libre. Ensemble, cette complémentarité de regards et d’actions est indispensable pour faire émerger des solutions durables et respectueuses des droits fondamentaux.
La santé en prison est un enjeu de société
Comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé, la santé en prison fait partie intégrante de la santé publique. Il est illusoire de vouloir éliminer certaines pathologies – comme l’hépatite C – sans agir en prison. L’OMS précise que l’élimination globale de cette maladie passe inévitablement par une prise en charge efficace en milieu pénitentiaire.
Nous ne nous résignons pas. Nous resterons vigilant∙es et mobilisé∙es et nous appelons les autorités à sortir de l’inaction. L’heure n’est plus aux constats : elle est aux décisions.
Comme le disait Dostoïevski, « on juge une société à l’état de ses prisons ». Le moment est venu de se montrer à la hauteur.
Carte blanche co-écrite par :
Marion Guémas de l’asbl I.Care, Lise Meunier du Réseau Hépatite C & Kris Meurant de l’asbl Transit
Co-signataires de la carte blanche :
